Un café interdit aux femmes en France, en 2016 ?
La créatrice de l'association Brigade des mères, Nadia Remadna s'est rendue dans un café de banlieue parisienne avec Aziza Sayah, militante de la même association. La porte franchie, on leur demande : "Vous cherchez qui ?", puis on leur conseille de s'en aller : "Le mieux, c'est d'attendre dehors. Ici, il n'y a que des hommes". "Dans ce café, il n'y a pas de mixité", conclu le gérant du bar.
J’ai donc été très surprise, et choquée, lorsqu’il nous a dit qu’il n’y avait pas de mixité dans ce café et que les femmes n’y étaient pas les bienvenues. Nous sommes en France fin 2016 et pourtant ce genre d’anecdote me donne le sentiment d’être de retour en Algérie au début des années 1990.
Je suis née et j’ai grandi en France et lorsque j’ai eu 13 ans, mon père a fait le choix d’emmener toute la famille dans son pays d’origine, l’Algérie. J’y suis restée jusqu’à mes 23 ans. Quand je suis revenue en France, 10 ans après être partie, j’ai pu commencer des études supérieures et vivre ma vie.
En tant que créatrice de la Brigade des mères et citoyenne, je propose des activités centrées autour de la famille. Je constate que les mairies avec lesquelles je travaille trient automatiquement les activités en fonction du genre : le sport pour les hommes, la cuisine pour les femmes. Les organisateurs jouent un jeu démagogue malsain et je me retrouve avec des ateliers composés uniquement de femmes où il m'est presque interdit de faire intervenir un homme.
Je me souviens par exemple de la fois où j’ai proposé de faire intervenir un jazzman américain. Le responsable des activités m’a dit que j’avais plutôt intérêt à ramener une chanteuse de raï. L'idée était d'une part de perpétuer l'enferment culturel en donnant aux habitants du quartier de la musique traditionnelle algérienne, et d'autre part de tranquilliser le quartier en garantissant que les femmes qui se rendaient à ces activités resteraient bien entre-elles uniquement, sans homme.
L'enfermement nous concerne tous
J’aime l’Algérie et j’aime la France. Je n’ai rien contre le fait de pratiquer sa religion ou de faire vivre sa culture. Là où j’ai plus de mal, c’est quand une de ces deux choses va à l’encontre des lois de la République. L’égalité homme-femme est un principe républicain en France et nous avons des lois pour la protéger. Ce n’est pas normal qu’il y ait des politiques prêts à y renoncer simplement pour des raisons électorales.
Nous sommes en France et les cafés sont mixtes. Un gérant de bar n’a pas le droit d’intimider une femme qui voudrait consommer dans son établissement sous prétexte qu’il a décidé – illégalement – que son commerce était réservé aux hommes.
Je suis effrayée de voir que l’on sépare ainsi les hommes et les femmes. Ce n’est rendre service à personne. La mixité et la diversité sont la base essentielle d’une société en bonne santé. Je ne parle pas seulement de mixité de genre, je parle aussi de mixité sociale et religieuse.
Mon combat me coûte cher
C’est d’autant plus difficile pour moi que je suis Algérienne et musulmane. Ceux qui ne me comprennent pas, peuvent penser que je trahis ces origines. D'ailleurs, certains membres de ma famille ou mes amis m'ont tourné le dos. J’ai même eu des problèmes au travail avec des menaces de la part d’un collègue au printemps dernier, après avoir expliqué à la télévision que nos quartiers n'avaient pas besoin d'une mosquée à chaque coin de rue, mais plutôt de centres culturels. Depuis ce harcèlement au travail, je suis en arrêt maladie.
Pour faire tourner l’association, nous avons très peu de moyen. Je m’y consacre totalement puisque je ne travaille plus en ce moment mais nous n’avons même pas de local pour se retrouver ou organiser des ateliers.
C’est aux élus de régler le problème et pourtant c’est nous qui nous y collons, et sans moyens ! J’ai vraiment l’impression de faire leur sale boulot. Eux, ils se contentent de laisser les habitants de ces villes ou de ces quartiers dans des prisons culturelles et religieuses à ciel ouvert.
Propos recueillis par Barbara Krief.
Source : nouvelobs.com/contribution/1631032-un-cafe-interdit-aux-femmes-en-france-en-2016-oui-c-est-la-faute-des-pouvoirs-publics.html