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Café des Femmes

Femen, même pas peur ??

6 Juin 2013, 12:50pm

Publié par Café des Femmes

 

Des amazones aux actions kamikazes
Libération  -5 juin 2013 à 21:56

Les nombreux coups d’éclat des Femen suscitent admiration et défiance, y compris dans les rangs féministes.

Par CÉCILE DAUMAS, QUENTIN GIRARD

Cette féministe française les avait prévenues. «N’allez pas en Tunisie, c’est bien trop dangereux. Elles n’ont rien voulu entendre.» Depuis leur irruption sur la scène internationale, les Femen fascinent et dérangent à la fois. Pas seulement ceux qu’elles combattent, intégristes, dictateurs et autres proxénètes, mais aussi parmi celles qui devraient être leurs soutiens évidents, les féministes. Le dernier épisode en Tunisie confirme ce sentiment étrange, mélange d’attention admirative, de perplexité et/ou de rejet.


Face à l’isolement et au traitement disproportionné réservés à Amina et aux trois autres militantes, face à l’urgence de la situation, des féministes françaises sont sorties de leur silence. Dans une pétition publiée hier dans Libération, Elisabeth Badinter, Safia Lebdi, conseillère régionale EE-LV, un temps proche des Femen, et d’autres personnalités comme la cinéaste Agnès Jaoui demandent la libération immédiate des jeunes femmes. Une démarche appuyée par d’autres associations féministes comme la Clef (Coordination du lobby européen des femmes) ou Femmes solidaires. Mais, en off, les mêmes qui défendent la jeune Tunisienne se montrent nettement moins consensuelles. «Aujourd’hui Amina risque douze ans de prison. C’est une gamine… Le prix à payer est trop lourd, dit cette féministe française. Les Femen envoient leurs militantes au casse-pipe. Elles n’assurent ni gîte ni protection. Elles veulent des soldates.»


«Paumée». L’essayiste Caroline Fourest, l’une des rares féministes françaises à soutenir publiquement les Femen - elle leur a consacré un excellent documentaire diffusé en mars sur France 2 -, valide, elle, la stratégie tunisienne même si elle n’adhère pas à toutes les actions du groupe : «Ce qui se passe là-bas est pertinent et très fort. On ne peut pas laisser le champ libre aux islamistes. Amina a décidé elle-même des risques à prendre. Ceux qui ont tenté de la raisonner se sont heurtés au mur de sa détermination. Elle a 18 ans, elle est prête à se mettre en danger.»

A Tunis, les féministes, qui ont mis du temps à se mobiliser pour Amina sont comme abasourdies par cette stratégie kamikaze, désemparées par des actions qui balaient les repères habituels. En France, une militante, engagée pour libérer Amina, avoue : «Je suis paumée…»

Depuis leur apparition sur la scène mondiale, les Femen sèment donc une certaine pagaille dans les rangs féministes. Créé en Ukraine en 2008, le mouvement s’est fait connaître par ces actions «seins nus» très médiatiques. Réunions de dirigeants mondiaux ou ukrainiens, Jeux olympiques, Euro de football, Notre-Dame ou la Grande Mosquée de Paris, elles s’attaquent à des lieux représentatifs du patriarcat selon elles. En ligne de mire : les religions monothéistes, la corruption, l’extrême droite, les dictatures. Leurs revendications : l’abolition de la prostitution, le lutte contre une pornographie dégradante et une plus grande égalité entre hommes et femmes. Jusque-là, du classique. Mais l’efficacité hors pair de leur mode opératoire laisse sans voix. Avec seulement 300 membres dans dix pays européens, les Femen ont conquis une renommée planétaire en un éclair. Depuis longtemps, les droits des femmes n’ont pas connu une telle couverture médiatique… Comment aussi ne pas admirer leur prise de risque, le courage qu’elles ont eu d’affronter les troupes de Civitas férocement hostiles au mariage pour tous ?


Moches. Mais leur stratégie est jugée à double tranchant par certaines féministes. Trop jeunes, trop belles, seins nus, ces nouvelles sexactivists («sextrémistes») répondraient trop prestement aux exigences médiatiques. A quand des Femen moches ?

Certes, par leurs actions forcément physiques et visuelles elles rajeunissent très clairement le féminisme à la maman - elles recrutent de jeunes pousses séduites par cette nouvelle forme d’engagement - mais ringardisent du même coup les militantes traditionnelles.

«[Les féministes françaises] ont du travail, étudient à la fac, ont une famille et souvent des enfants. Bref, pour l’instant ce ne sont pas encore des révolutionnaires professionnelles comme nous», regrette Inna Chevtchenko, l’une des dirigeantes du mouvement, dans un manifeste publié en mars. La charismatique activiste de 23 ans est réfugiée à Paris depuis août 2012, après un blasphème de trop à Kiev en soutien aux Pussy Riot - elle a découpé une croix orthodoxe. Elle, comme les autres Ukrainiennes, affirme se préparer à mourir s’il le faut : «Je sais qu’on peut être agressée, je sais que je peux un jour être tuée, c’est comme ça.» Un féminisme sacrificiel qui décourage même les nouvelles recrues - certaines quittent le mouvement après seulement une ou deux opérations.

Surtout, l’engagement peut se révéler contre-productif sur le long terme. «Je soutiens totalement leur démarche, dit la psychanalyste Julia Kristeva. Elle réveille des peuples endormis et apeurés par l’oppression. Mais leur provocation risque plutôt d’exciter le désir des ayatollahs, qui jouissent de leur taper dessus, plutôt que d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les droits des femmes…» Un manque de stratégie, une méconnaissance du terrain sont ainsi régulièrement reprochés aux Femen. «Elles ne connaissent rien aux pays arabes», dit une féministe française. Quel intérêt de faire une action à Notre-Dame de Paris, dans un pays laïc où la religion est séparée de l’Etat depuis plus d’un siècle, arguent d’autres.


«Risques». Les Femen rejettent ces critiques, qu’elles jugent attendues. Au Lavoir moderne, un théâtre du XVIIIe arrondissement, le camp de base du mouvement à Paris, Inna Chevtchenko réfute l’image d’un féminisme européen qui viendrait imposer ses vues. «Il n’y a pas de "white feminism", il y a des droits universels. Pourquoi les droits des femmes au Maghreb seraient différents de ceux des Américaines ou des Européennes ?» se demande-t-elle. Elle rappelle que «la première étape est venue de la part d’Amina, une Tunisienne», mais admet aussi les difficultés de se développer dans ces pays. «C’est plus dangereux de militer en Tunisie ou en Egypte qu’en Europe, elles prennent beaucoup de risques. Mais ce danger, d’un autre côté, est une raison supplémentaire de combattre et de s’engager.»

Si elle se dit persuadée qu’il y aura d’autres Amina, elle raconte que récemment un groupe de femmes algériennes étaient prêtes à poser seins nus. Avant, finalement, de renoncer. «Cela reste compliqué», reconnaît-elle.

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