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Café des Femmes

Femme et économiste

12 Décembre 2012, 09:14am

Publié par Café des Femmes

 

Karine Berger. Forte tête
  Liberation 11 décembre 2012 à 19:06
(Photo Stéphane Lavoué pour Libération)

Spécialiste d’économie et ambitieuse au franc-parler, la députée PS des Hautes-Alpes, 39 ans, avance bille en tête.

Par Nathalie Raulin Photo Stéphane Lavoué

L’ambition de Karine Berger ne s’embarrasse pas de déceptions. Le porte-parolat du Parti socialiste lui échappe, elle qui n’y avait pas songé avant que Martine Aubry la sollicite ? «Je n’ai pas été soutenue», évacue la fonceuse. Certains ministres et parlementaires de son bord, pestent contre sa «méchanceté», «sa condescendance», son «positionnement économique trop à gauche» ? La députée loue le brio de détracteurs qu’elle connaît, s’étonne que le moindre de ses faits et gestes puisse être sujet de commentaires acides, invoque la «confiance» que lui témoignent nombre d’élus. «Vous savez, c’est simple. En politique, la base, c’est la visibilité. Et aucun mec ne désire voir une nana de 39 ans exister.»

Karine Berger parle entre deux éclats de rire, sans cette retenue des apparatchiks rompus aux codes et chausse-trapes du pouvoir. L’exposition médiatique, elle la recherche plus qu’elle ne la craint. Après l’onction du suffrage universel, la notoriété est l’autre sésame nécessaire pour «peser», pense-t-elle. Et d’abord sur ce qu’elle maîtrise le mieux pour s’y être consacrée dix ans durant à Bercy, à l’Insee et comme directrice des études dans une grosse compagnie d’assurance : l’économie et son tombereau d’équations complexes. «Pour Karine, les chiffres ont un sens. La macroéconomie, c’est une réalité concrète, elle en a une intuition quasi physique», admire sa complice Valérie Rabault, ingénieure et députée PS comme elle. Les maths sont son jeu d’enfant. Une bosse peut-être héritée de ses parents, tous deux longtemps profs en la matière à Limoges. Adolescente, elle se découvre singulière de n’y trouver qu’«évidence». Et partage sa chance à la volée : «Aux interros, ma copie faisait le tour de la classe. J’avais une vision très communiste de l’enseignement.» Elle se sait douée, elle se veut sans entraves. «J’ai fait toutes les conneries possibles, mes parents étaient épuisés. Mais, comme j’avais des 20 partout, ça passait. Moi, j’avais juste envie de vivre.» Ces aptitudes balisent le chemin vers Polytechnique-ENSAE. «Des années de plaisir intellectuel et culturel sur lesquelles je me repose encore aujourd’hui», admet l’amatrice d’opéra, de théâtre et de Renaissance italienne. La technique, fut-elle de haute volée, n’assouvit pas ses rêves. L’ex-ministre UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, qu’elle croise sur le campus de l’X, se souvient «d’une fille plutôt expansive par rapport au format des prépas maths sup de Louis-le-Grand, et déjà assez engagée politiquement, ce qui était encore plus rare».

Ces compétences tôt acquises la protègent du complexe d’Electre : «Je n’ai jamais eu de mentor, aucune espèce de protection de qui que ce soit.»A défaut, Berger s’autorise une figure tutélaire : Dominique Strauss-Kahn, maître de Bercy où elle entre, ses classes terminées. «Encore aujourd’hui, il n’y a pas dans ses discours économiques une seule phrase avec laquelle je me sente mal à l’aise. C’en est même troublant. DSK savait trouver la formule qui rendait accessible à tous une réalité complexe. Il posait un cadre et on n’avait plus qu’à le remplir.»

La démission du ministre en 1999, comme bien plus tard la découverte de sa vie privée débridée «non compatible avec la fonction suprême», la déçoit sans l’atteindre. Elle a alors 27 ans et la volonté de se forger un destin. Son adhésion au PS en janvier 2000 se transforme illico en engagement actif : auprès de Bertrand Delanoë, à qui personne ne pense encore pour la conquête de Paris, puis un an plus tard aux côtés d’Arnaud Montebourg, alors sur le point de lancer une convention pour la VIe République dont elle devient membre fondateur. Ce choix lui ouvre la porte du conseil national du PS en 2005. La reconnaissance est bienvenue pour qui veut s’implanter localement. «En 2003, j’ai rallié les Hautes-Alpes, dont ma mère est originaire. C’était une terre de droite, une terre de conquête. Tout sauf un parachutage.» L’exigence de parité facilite son investiture aux législatives de 2007.«Face à un homme, il aurait été difficile, voire impossible, de convaincre militants et élus de me faire confiance», regrette-t-elle. La castagneuse retient la leçon. Désormais membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, elle ne recule pas devant le clash pour obtenir l’équilibre des sexes au sein du futur Haut Conseil des finances publiques. «Notre génération n’est pas arrivée à obtenir la parité. Il faut changer le monde par la loi, par la force, sinon ça ne bouge pas.»

Braver son genre est à risque. Sa première passe d’arme électorale se solde par un échec honorable annonciateur de violentes ruptures. Avec Montebourg, qui s’engage derrière Royal quand la noniste au référendum européen choisit Hollande puis DSK, tous deux ouiistes. Avec son compagnon, militant PS désormais conseiller de ministre, surtout. Le début d’une période «pas drôle». «Je n’avais pas de mandat, plus de courant, plus de mec, et professionnellement j’étais affectée à la mise en œuvre de la réforme générale des politiques publiques : une horreur.» La rédemption vient avec la crise. Fuyant Bercy pour le privé, la nouvelle directrice des études économiques d’Euler Hermes devient pythie d’une planète finance en pleine débandade. «J’étais au cœur de ce moment où le monde peut s’effondrer et où j’avais quelque chose à faire pour que ça n’arrive pas», s’enthousiasme-t-elle. A Singapour un jour pour parler tectoniques financières, à Gap via Marseille le lendemain, pour fédérer élus locaux et militants, l’hyperactive s’épuise. Interrogations existentielles et problèmes de santé lui dictent de prendre l’air. Elle apprend à piloter puis ensuite part au Liban. Où réside la belle famille de sa petite sœur. Salvateur : «La politique, là-bas, c’est une question de vie ou de mort

Karine Berger ne retient que le meilleur de son parcours : son rôle de passeuse auprès des fonds d’investissements étrangers du programme économique du candidat Hollande, sa victoire aux législatives de juin, sa nomination comme secrétaire nationale à l’économie du PS. Atypique dans un monde clanique, Berger n’a de fidélité que pour ses convictions. Le gouvernement envisage le basculement des cotisations sociales sur la CSG pour restaurer la compétitivité des entreprises ? Elle s’inscrit en faux publiquement. Le droit de vote des étrangers disparaît des priorités ? Elle signe l’appel de députés socialistes pour accélérer son adoption. Un mégacrédit d’impôt est accordé aux entreprises ? Elle bataille en commission pour obtenir des contreparties, jusqu’à exaspérer ses contradicteurs. De quoi entraver l’ascension de la bosseuse. «Quand on a son caractère et ses compétences, ça peut faire peur à ceux qui sont installés et sans doute moins brillants, admet le député PS Jean-Marc Germain. Surtout quand il s’agit d’une femme.» La néokeynésienne convaincue hausse les épaules : «J’ai un rôle à jouer. Beaucoup de gens ont compris que s’il faut quelqu’un pour faire bouger les lignes, je le fais pour eux.» Ambitieux.

En 5 dates

11 mars 1973 Naissance à Limoges (Haute-Vienne). 1998 Direction de la prévision à Bercy. 2005 Conseil national du PS. 2011 Les Trente Glorieuses sont devant nous avec Valérie Rabault (éd. Rue Fromentin). Juin 2012 Députée PS des Hautes-Alpes.

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